Inspection Oued Fodda (Chlef)

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Relation éducative et autonomie du sujet


Éducation : mise en oeuvre des moyens propres à assurer la formation et le développement d'un être humain.

Relation : (entre personnes) : lien de dépendance ou d'influence réciproque.
                                                                    (Dictionnaire Robert)

La relation éducative est ce lien de dépendance et d'influence réciproque
qui permet d'assurer la formation et le développement des êtres humains. Dans le cadre familial, la relation éducative entre parents et enfants transmet les modèles de comportement, de façon de faire, de sentir, d'agir qui marquent le devenir de tout être humain dans son histoire personnelle. Dans
le cadre social, la relation éducative entre un enfant et un éducateur de métier modèle le développement de l'être humain selon les valeurs et idéaux collectifs de la société.
Le chemin qui nous mène de l'état d'enfance à l'état d'adulte passe par un réseau de relations éducatives avec nos parents et avec des éducateurs de métier. La relation éducative se caractérise avant tout comme un rapport symbolique de générations où le pôle adulte de la relation correspond à la
capacité de représenter pour d'autres les connaissances et les exigences liées au maintien et au développement de l'espèce humaine.

(a) Pour éclairer cette proposition, il semble nécessaire dans un premier
temps de situer l'éducation comme fait de culture visant à favoriser l'accès d'un être humain à l'autonomie.

L'éducation comme fait de culture
On le sait, on ne peut penser une société sans une fonction éducative qui assure la transmission de génération en génération de savoirs essentiels au maintien et au développement possible de cette société dans son environnement physique et humain. Par ces savoirs essentiels, il faut
entendre les connaissances sur ce qu'il en est de l'appartenance à l'espèce, la question de l'origine (d'où viennent les enfants), les règles qui organisent les liens de parenté et les échanges sexuels : les liens d'alliance possible ou interdits - la question de l'interdit de l'inceste et de l'exogamie - , les
façons de se représenter la vie, la mort, de répondre aux questions qu'elles posent à l'homme. Il faut entendre également les relations avec la nature, le cosmos, le monde environnant (ce qui constitue le savoir des
sciences de la nature).
Éduquer, c'est, pour l'essentiel, transmettre l'état des connaissances sur ces questions, les réponses qui leur sont apportées et qui, bien entendu, sont fonction de l'état de développement de la société, de ses capacités d'investigation, de la rigidité de ses modèles, etc. : ce que l'on appelle l'héritage culturel qui fonde l'identité de l'être humain dans sa culture et dans son histoire. En ce sens, on peut dire que la relation éducative n'est rien d'autre que le lieu de la mise en scène de ce rapport de transmission. Elle est le lieu où un enfant en relation avec un autre humain adulte-tutélaire
(parent ou substitut parental) va pouvoir acquérir ce qui lui est nécessaire
pour se structurer, accéder à son identité, développer ses capacités d'intégration et de maîtrise de ce qui le constitue et de ce qui l'entoure.

(b) C'est parce qu'il s'adresse à un autre humain qui peut mettre en parole
pour lui et devant lui sa propre expérience aux autres humains et au
monde, que l'enfant va pouvoir à son tour, dans ce lieu et par ce lien humain,
mettre en parole son expérience au monde et aux autres pour se
l'approprier.

On peut dire que la relation éducative est, en son fondement, relation humaine au sens où elle est lieu d'échange de paroles, de communication de sentiments, de pensées constitutives de son expérience.

(c) Ce qui veut dire aussi qu'on en saurait la réduire à une pure et simple
expérience d'un lien humain affectif, sans risque d'attenter gravement au
développement de l'enfant.

La notion d'autonomie est bien évidemment une notion centrale puisque l'éducation vise, dans ses principes, l'accès de l'être humain à l'autonomie. On lui substitue volontiers de nos jours, la notion d'épanouissement de la personnalité. Mais c'est là une notion qui trouve difficilement à se fonder d'un point de vue psychologique parce qu'elle recouvre une représentation du développement de l'enfant investie de tout un imaginaire qui pourrait porter à croire que nous pourrions accéder en nous à tous ce qui est, sans contrainte, sans restriction, sans limite.

(d) Au revers d'une telle représentation, l'accès à l'autonomie ne peut se faire
sans renoncements, sans deuils, sans pertes et aussi sans conflits adulte-enfant
dans le lieu de la relation éducative et sans que la culture n'impose ses marques, ses restrictions, ses exigences.

Être autonome, c'est se régir pas ses propres lois nous dit le dictionnaire. L'autonomie, c'est le droit de se gouverner par ses propres lois, de déterminer librement les règles auxquelles on se soumet. L'autonomie n'est donc pas l'absence de règles. Ce qui serait l'autonomie, c'est l'intériorisation de règles.
L'approche psychanalytique de ce que serait cette intériorisation laisse moins de liberté, tout au moins sur le registre inconscient, à la détermination du choix de ces règles que n'en précise la définition du dictionnaire.
Pour elle, l'autonomie c'est ce qui s'oppose à la dépendance comme lien primordial à un autre et à l'aliénation (ne pas avoir sa tête à soi donc penser avec la tête d'un autre).

(e) Être autonome, c'est donc pourvoir dénouer ses liens de dépendance. Se
délier de ses choix affectifs premiers pour accéder à d'autres liens, pour
s'ouvrir sur le nouveau, l'inconnu, au lieu de répéter le connu, le déjà vécu et
de s'y enfermer, de s'y carcéraliser. C'est aussi pouvoir penser avec sa tête à soi sans craindre d'être rejeté, mal jugé, mal aimé.

C'est ce que traditionnellement on appelle acquérir l'esprit critique, c'est à dire la liberté de penser en ses termes, de ne pas s'aliéner à la pensée d'un autre, de pouvoir vivre l'échange, la confrontation avec d'autres non comme une menace pour son intégrité mais comme une possibilité de s'enrichir dans
cette confrontation. On peut traduire ceci en langage plus théorique en s'inspirant du langage psychanalytique pour dire que l'accès à l'autonomie, c'est la possibilité d'accéder à un statut de sujet désirant, un statut de sujet du désir par le dégagement de sa dépendance première au désir d'une autre - la mère, le père intériorisés, les images parentales internes - dépendances premières qui peuvent fonctionner, se cristalliser en aliénations, en fixations. On pourrait dire encore que l'inverse de la position de sujet du désir serait le désir de rester dans une position d'objet passif d'un autre, objet à satisfaire ses besoins, ses désirs, sans accès possible à ses propres désirs, en se barrant
l'accès à ses propres désirs de peur de déplaire à ces êtres tutélaires que nous
portons en nous. Dans cette perspective, l'autonomie ne peut se réduire à une simple profession de foi ou à une revendication. Elle est accès à un statut, celui de sujet par dégagement de ses liens profonds de dépendance qui sont imposés à l'être humain par son immaturité biologique à la naissance.
L'essentiel du processus d'autonomisation se comprend comme un processus de séparation permettant à l'enfant de se différencier et de construire son identité propre comme être vivant, sexué et pensant. On aura compris que "être autonome" n'est d'aucune manière équivalent à "faire sa loi", au sens d'exercer un pouvoir tout puissant sur les autres et sur l'environnement en
prétendant s'exclure de toute solidarité et de toute participation à l'espèce humaine. Une telle façon de concevoir l'autonomie ne serait que la représentation infantile, non évoluée de la toute-puissance des désirs.

(f) Accéder à un statut de sujet désirant et pensant pour son compte personnel, à un pouvoir être ne saurait précisément être conçu indépendamment d'un versant de normativation culturelle (qu'à l'école on appelle socialisation), de quelque chose qui inscrit la marque de la culture pour "humaniser".

Les impasses de la rationalisation absolue
La création des sciences de l'éducation témoigne à elle seule de la volonté de
prendre l'éducation dans le champ de la science, d'en faire un champ scientifique au même titre qu'un autre, de penser l'éducation dans les termes de la rationalité de notre époque. pour qui réfléchit au métier d'éducateur ou s'y engage, il semble bien difficile de faire l'économie de ce corpus de
connaissances déjà constitué ou en voie de constitution ; ce faisant, il ne peut manquer tôt ou tard de se trouver confronté à l'usage de ces connaissances dans la pratique, à l'usage qu'il peut ou ne peut pas en faire, et qui le renvoie nécessairement aux désirs en jeu qui fondent son rapport à l'autre.

(g) Le paradoxe d'une rationalisation scientifique des pratiques éducatives
serait alors de faire l'impasse sur ces désirs, c'est à dire d'induire une
désubjectivation de la relation éducative à partir d'une croyance magique aux vertus d'une rationalité scientifique absolue de ces pratiques.

Pour éviter un tel écueil, il convient de réaffirmer que, si le processus
d'autonomisation en passe par la relation à l'autre, par une relation humaine, c'est pourrait-on dire un processus d'évolution constitutif de l'être humain, inscrit dans l'espèce. L'éducateur est l'accompagnateur d'un processus, ce n'est pas le dieu créateur d'un produit qui serait l'éduqué, dieu créateur que la mythologie grecque figure par le mythe de Pygmalion ; sculpteur amoureux de sa propre création. Si l'éducation doit aider à construire des digues pour contenir les tendances sexuelles de la petite enfance, elle doit elle-même penser ses propres limites, endiguer ses propres désirs d'omnipotence.

Entre deux écueils symétriques
Pour paraphraser Freud lorsqu'il dit que l'éducation doit trouver sa voie entre le Charybde de l'interdiction et le Scylla du laisser-faire, les deux écueils cruels aux navigateurs qui marquent le passage du détroit de Messine -, trop de répression des instincts, de la sexualité infantile, et trop de laxisme (pas assez d'interdits) - sont également nuisibles pour l'enfant, on pourrait dire qu'il y a deux écueils majeurs susceptibles de faire dévier l'action éducative
vers une absence de limites, avec pour conséquence le naufrage de la relation
éducative.

(h) Le premier, appelons-le le Charybde de l'éducation moderne, consisterait à prétendre tout maîtriser par une connaissance scientifique de la relation éducative, une position qui annulerait toute épaisseur, qui effacerait toute ombre dans le face à face relationnel humain.

Dans cette position et à partir des connaissances acquises nécessaires et
exigibles pour l'éducateur, connaissances sur les modèles théoriques, les lois du développement psychique cognitif et affectif, l'éducateur ne percevrait plus l'enfant en face de lui que comme l'enfant de la théorie, un enfant connu d'avance en termes de stades obligés de lois de fonctionnement définies scientifiquement. L'enfant serait ainsi transformé en pur objet théorique, aliéné dans le avoir théorique, exclu à tout jamais de son statut de sujet
désirant. Ceci serait aussi vrai pour l'éducateur qui ferait comme la théorie-ditde-faire. La relation éducative ne serait plus alors que le face à face de deux "chevaliers inexistants" pour citer Italo Calvino , deux armures brillantes et invincibles, vides de tout sujet humain. On le sait, l'acquisition de fondements théoriques pour penser l'action éducative court toujours le risque de donner lieu à un effet pervers : celui de prétendre éliminer toute angoisse, tout conflit, tout ce qu'il y a de vivant dans une relation éducative. Ce serait là utiliser le savoir acquis comme une protection et une défense contre ce que l'on peut vivre d'un côté et d'autre.

(i) A l'inverse, penser que la pratique éducative puisse mettre à l'index tout
appareil théorique, toute exigence de connaissance et de pensée rationnelle,
réduirait le travail éducatif aux termes d'un pouvoir personnel de l'éducateur,
à des dons indicibles et l'on ne dépasserait guère ainsi une conception
de la relation éducative comme manipulation de forces affectives
inconscientes, comme manifestation d'omnipotence infantile.

Le Scylla de l'éducation, deuxième écueil que l'éducateur navigateur risque de
rencontrer sur sa route maritime est lié lui aussi n en un sens, à l'essor des sciences : l'idée pour les sciences d'un progrès humain de domination de la nature, l'idée de domination de forces psychiques humaines individuelles et collectives (la psychologie, la sociologie, etc.) et même depuis la psychanalyse des forces plus obscures. Mais cet essor est lui-même en relation avec un imaginaire de conquête par la connaissance et de maîtrise des choses. La
forme de l'imaginaire investie dans la relation éducative serait de penser cette
relation comme un prototype et un modèle de rapports humains idéaux à promouvoir.
Ce serait cela le versant imaginaire du pouvoir éducatif. Certes, on peut dire qu'il est dans l'idée même d'éducation de faire progresser l'humanité, que toute éducation est porteuse du rêve d'un monde meilleur. L'histoire de la
pédagogie nous apprend qu'un tel rêve est le moteur de possibilités créatrices, mais elle peut aussi nous apprendre - si nous le voulons bien - qu'il peut être le frein à toute évolution quand il met en scène un monde humain idéalisé, une relation imaginaire parents-enfants débarrassée de tout conflit, de toute ambivalence de sentiments. On pourrait dire encore un monde magique où
tout conflit de générations s'effacerait par la mise en scène imaginaire d'un éducateur, non plus parent mais personnage complice bienveillant, n'imposant aucune loi, aucune restriction, aucune parole paternelle. Il faut donc mettre ne question ce rêve d'une relation éducative où aurait disparu toute
référence à l'adulte porteur d'interdits et d'opposition à l'enfant incestueux, enfant désireux de toutes ses forces de posséder hors loi et hors limite, désireux de s'aliéner à l'autre et de l'aliéner à lui. Un rêve d'une relation éducative qui ne peut que tomber dans "la violence et la passion".

(j) Tels sont les deux écueils qu'il faudrait apprendre à éviter : prendre l'autre, enfant ou groupe d'enfants, comme objet à maîtriser par le savoir, le prendre comme objet d'amour. Trouver la passe. Nous pouvons sans doute aller plus loin si nous pouvons penser les termes d'une formation à la relation éducative qui ne se réduise ni à un enseignement, ni à une aliénation identificatoire à un modèle constitué.
Jeanine Filloux



03/10/2009
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