Grammaire française en quatre pages par l'imprimerie à l'école
La technique de travail traditionnelle est tout
entière basée sur la leçon faite par le maître, étudiée ensuite dans le manuel,
avec la plupart du temps des résumés appris par cœur et des devoirs
d'application.
C'est une méthode de travail. Elle a aujourd'hui
fait ses preuves. On connaît les quelques avantages qu'elle présente : avec un
minimum d'initiative et de don de soi, mécaniquement, en suivant les manuels,
n'importe quel instituteur peut l'administrer, même sans faire le long
apprentissage de l'Ecole Normale.
Mais on a toujours hésité à en divulguer les
inconvénients et les dangers parce que critiquer ce que l'on ne peut ou ne sait
remplacer, c'est dénigrer et que dénigrer est toujours une position difficile
et dangereuse.
Nous qui savons où nous allons, nous pouvons nous
payer l'audace de dire que la technique traditionnelle des devoirs et des
leçons, que nous critiquerons en détail dans une autre opuscule, présente, parmi
tant d'autres tares, celle de n'avoir qu'une efficience extraordinairement
réduite.
L'instituteur fait une leçon, la plupart du temps
sans conviction ni chaleur, car il n'y a rien qui use plus et qui déforme comme
de pontifier sans cesse. Il est prouvé aujourd'hui que, à de très rares
exceptions près, et sur quelques sujets seulement, l'enfant écoute rarement
avec tout son être. La passivité n'est pas son fait. Il se donne à l'éducateur
tout juste assez pour éviter la punition ou l'échec à l'examen pendant que le
meilleur de son être continue à suivre la ligne vitale de ses intérêts profonds
et de ses besoins. Avant même que la psychologie ait dévoilé ce dédoublement
mortel pour l'école, les pédagogues avaient senti l'insuffisance des leçons
doctorales puisqu'ils avaient vu la nécessité de les doubler et de les
prolonger par l'étude sur le manuel de cette même leçon. Rabâchage plus
fastidieux encore et qui ne donnait quelque rendement que si on en contrôlait
scrupuleusement l'exécution par les résumés à apprendre par cœur et les
innombrables devoirs d'application.
On peut tricher quand le maître parle ou quand on
lit la leçon. Mais un résumé est su ou n'est pas su ; un devoir est fait juste
ou faux... Terrible obligation qui empoisonne la vie des écoliers, de ceux
surtout, et ils sont l'immense masse, à qui coûte exagérément l'effort de
mémoire et de compréhension qui leur est ainsi demandé.
Et c'est ce travail anormal et excédant qui use
les générations d'écoliers, les dégoûte du travail et, parfois, hélas ! les
fait haïr l'école. Devoirs et leçons sont aussi à la base de tout le système de
coercition imaginé par les règlements ou les pédagogues. Il est impossible de
travailler avec les enfants dans l'atmosphère de confiance et de collaboration
indispensable à toute œuvre d'éducation quand tout au long du jour le maître,
livre en mains (car il n'a pas besoin, lui, de savoir par cœur, et ce n'est pas
là la moins criante des injustices), contrôle leçons et devoirs. Les punitions
sont le complément nécessaire de cette méthode de travail. Ah ! si nous
pouvions supprimer dans nos classes toutes les leçons faites ex-cathédra par l'éducateur ; si nous pouvions supprimer
toutes les leçons à apprendre, tous les devoirs à faire ! Comme l'école
paraîtrait alors, aux enfants et aux adultes, lumineuse et claire ; comme on y
travaillerait avec joie, sans aucune hypocrisie, comme la collaboration y
serait agréable et combien changerait le rôle de l'éducateur qui vivrait enfin,
au milieu d'enfants vivants, au sein de la vraie vie !
Et si l'éducateur ainsi libéré se donnait avec un
complet amour de sa tâche ; si les enfants s'épanouissaient enfin dans une
école à leur mesure ; si les activités des uns et des autres se donnaient à 100
%, comment le rendement scolaire ne serait-il pas décuplé lui aussi ! Utopie !
Naguère oui, et c'est pourquoi on ne savait alors pousser avec cette acuité la
critique du système traditionnel. Notre technique est justement le triomphe de
l'activité libre de l'enfant, mais d'une activité à laquelle on a donné un
aliment et des possibilités d'expression avec un matériel nouveau, par des
formules de travail mieux adaptées aux nécessités de l'heure. C'est ce
matériel, ce sont ces formules de travail que nous présentons dans nos
brochures. Matériel et formules ont été éprouvés dans des centaines d'écoles
populaires ; ils sont fondés pédagogiquement et psychologiquement ; ils ont
donné des résultats qui leur ont valu la faveur croissante de tous ceux -
éducateurs et inspecteurs - qui les ont examinés.
Un jour prochain, l'école populaire sera vraiment
libérée parce que des techniques de vie, d'effort joyeux et de travail
efficient auront remplacé triomphalement des méthodes scolastiques qui n'ont
plus guère pour elles que l'imposante tradition, accompagnée et soutenue par
une foule d'intérêts matériels que nous ne devons pas sous-estimer mais que
nous devons moins craindre encore de dénoncer et de combattre.
Nous dirons, dans d'autres opuscules, comment, par
notre technique, nous supprimons les leçons de lecture expliquée, les devoirs
d'application et autres obligations rebutantes pour faire s'épanouir enfin la
véritable initiation française.
Aujourd'hui, nous vous disons :
PLUS DE LEÇONS DE GRAMMAIRE.
La rédaction vivante et
joyeuse
chemin royal vers la perfection grammaticale
Ce n'est pas une gageure ; nous n'avons fait aucun
pari de condenser en quatre - peut-être sera - ce même en trois ! - le
contenu de tous les manuels de grammaire. Notre entreprise est d'une portée
pédagogique autrement considérable puisqu’elle vise à simplifier vraiment notre
expérience pratique de la langue grâce aux techniques nouvelles que nous avons
introduites dans nos classes.
Personnellement, je ne suis pas grammairien, loin
de là ! L'avouerai-je même, lorsque après la guerre, je repris, à demi -
convalescent, une classe préparatoire, je constatai avec un peu de surprise que
j'avais presque totalement oublié toutes les règles de grammaire. C'est à peine
si je distinguais encore dans les temps quelques formes simples : indicatif présent,
l'imparfait, le futur, le conditionnel. Je ne savais plus si le passé simple
devait oui ou non s'appeler passé défini, je me le demande encore en écrivant
ces lignes, et la chaîne : bijou, caillou, chou..., revenait péniblement
sans hésitation.
Ne parlons pas de toute la foule de pronoms,
d'adjectifs, d'adverbes, de prépositions, etc., dont je savais l'emploi sans
pouvoir les distinguer avec précision. Et pourtant, je venais d'écrire un petit
livre qui ne manquait pas d'émotion, et je savais, d'une plume assez vive,
défendre mes droits, ou écrire pour mes élèves des contes et des poèmes que, à
ma grande surprise, ils préféraient aux œuvres classiques qui leur étaient
offertes.
Je ne me suis pas ému. Je savais écrire d'une
façon convenable ; je sentais bien que c'était l'essentiel, que tout le reste,
que toutes les chinoiseries grammaticales étaient surtout inventions
scolastiques et que si, moi qui avais eu jusqu'à 18 ans le crâne bourré par
maîtres et manuels, pouvais sans grand dommage oublier les neuf dixièmes de la
grammaire, c'est que celle-ci, telle qu’on me l'avait enseignée, n'était ni
vitale, ni indispensable et que la voie suivie jusqu’à ce jour ne répondait pas
aux besoins d'élèves qui, dans la vie, n’ont que faire de terminologie.
Je n'ai, depuis, tenté aucun effort pour apprendre
à nouveau cette grammaire des manuels. Et je me hâte de condenser ici, avant
qu'il ne soit trop tard, ce que je crois suffisant et profitable pour notre
école primaire. Car la déformation professionnelle nous marque dangereusement :
à force de revoir tous les ans les mêmes principes, les mêmes règles avec leurs
exceptions, nous les incorporons à notre fonction et à notre vie, jusqu'à ne
plus comprendre que ceux dont la profession n'est pas de rabâcher ces éléments puissent
avec tant de désinvolture en négliger complètement la contestable valeur.
N'écoutons point ceux qui prétendent qu’on ne peut
écrire tant qu'on ne connaît pas à la perfection les règles de la grammaire et
de la syntaxe. Dénonçons les prescriptions ridicules des programmes qui
stipulent : une phrase d'abord pour les enfants du C.P., puis un
paragraphe, et enfin, vers le Certificat d'études seulement, un texte complet.
Pensez à ce qu'il adviendrait de ces mêmes enfants
si, lorsque, tout petits, ils veulent extérioriser dans leur langage à peine
compréhensible ce qui les agite, une maman pédagogue venait leur imposer
silence : - Tais-toi, tais-toi... Prononce seulement avec moi une
phrase... plus tard tu pourras prononcer un paragraphe ; et dans quelques années
,seulement tu pourras raconter une histoire complète... Comme si ce n'était pas
une histoire complète que mime l'enfant qui s'agite et gesticule et crie dans
son berceau ; et si réprimer ainsi le besoin d'expression de l'enfant
n'amènerait pas avec certitude le dégoût d'un langage imposé et inutile, et
sans doute le mutisme complet...
Les pédagogues n'ont vu que la règle , et la règle
a tué la vie...
Ils écrivent bien, certes, ces académiciens pour
qui écrire est une sorte de devoir de style où la forme masque presque toujours
l'absence de pensée et de sentiment. Mais qui lit leurs œuvres ? Et pensez-vous
que ce sont elles qui passeront à la postérité ou bien plutôt les pages
vibrantes d'émotion et de vie de ces jeunes écrivains qui, sans se soucier outre
mesure de la grammaire ont su exprimer ce qui vous agite ou vous remue. Et je
pense à tel écrivain à succès, avec ses phrases osées et ses mots à peine
francisés... on dira plus tard, comme nos professeurs en arrêt devant des
tournures peu académiques de nos classiques : hardiesse de style... Parce que
la vie, véritablement, aura triomphé de la forme morte comme triomphera un jour
prochain, à l'école, la rédaction vivante et joyeuse, chemin royal qui mène
vers la perfection grammaticale.
Toutes ces précautions pour bien prévenir nos
camarades - et les spécialistes qui nous liront - que je ne prétends pas à
l'érudition grammaticale. Je puis commettre des oublis qui méritent d’être
réparés et des erreurs que je rectifierai avec plaisir, heureux justement si
ces lignes peuvent susciter encore une fois entre nos camarades une
collaboration profitable.
C'est en écrivant qu'on
apprend à écrire
De mes observations personnelles, je déduirai déjà
ceci : qu'on peut fort bien écrire correctement sinon académiquement, sans
connaître les règles de grammaire. Il suffit pour cela d'avoir senti la
nécessité de quelques principes essentiels et surtout d'avoir, par de nombreux
exercices, assoupli notre plume comme nous avons, au cours de nos premières
années, assoupli notre langue au contact familial.
Mais en fait d'exercices, nous n'avons que faire
de ces "devoirs" dont sont bourrés nos manuels. Les seuls exercices
que nous préconisions et que nous acceptions, sont ceux que suscite et motive
la vie, ceux qui répondent aux besoins d'activité, d'expansion et de
perfectionnement des enfants.
Et, comme préface au cours le grammaire annoncé,
nous poserons seulement aujourd'hui le premier, le grand principe : le
principal devoir de grammaire française et le plus profitable est la
rédaction : individuelle, par groupes, ou en collaboration avec le maître,
pourvu que cette rédaction ne soit pas un devoir, mais bien l'expression d’une
pensée qui a besoin de jaillir.
C'est en écrivant et en lisant qu'on apprend à
écrire et à lire (écrire signifie ici rédiger). Qu’importe si le jeune enfant
ne distingue pas le nom du verbe, si les grands élèves confondent article,
proposition, adverbe. Rien ne presse...
En ce début d'année vivez avec vos élèves,
aidez-les à s'exprimer et à s'épanouir, en vous appuyant sur les motivations
que nous avons suscitées : imprimerie, échanges scolaires, manuscrits ou
imprimés, vie sociale de la classe. Ce travail sera cent fois plus profitable
que tous les exercices de grammaire.
Au Cours Élémentaire et au Cours Moyen cependant,
si vous voulez faire un peu de grammaire formelle, car il faut penser aussi,
nous le savons, aux inspections et aux examens, donnez à conjuguer aux temps
usuels (indicatif présent, imparfait, passé composé. futur, conditionnel,
impératif) quelques verbes et expressions tirés du texte journalier. Le verbe,
surtout en français, a des formes tellement variables et baroques qu’il n'est
pas inutile pour l'orthographe en particulier, d'en montrer toute l'année les
difficultés. Mais que ce travail n'ait jamais la forme d'une conjugaison morte
: qu'il soit toujours basé sur l'intérêt du jour et se présente à l'esprit de
l'enfant comme une nécessité.
A tous les cours, et dès le début de l'année, il
est naturel pendant la mise au point des textes à imprimer, d'attirer
l'attention des enfants sur les formes grammaticales qui s’apprendront sans
ennui ni dogmatisme. Il sera facile déjà de montrer ainsi activement à
différencier le nom, le verbe et les adjectifs.
Les exercices de
vocabulaire, que nous appelons chasse aux mots, seront avec profit, pendant ce
temps, employés à approfondir l'orthographe de certains mots à structure
difficile, qu'on sent mal précisés dans l'esprit des enfants : noms en ou, oin,
an, ent, ert, air, er, etc. selon les classes. On laissera à cette chasse aux
mots son caractère de recherche collective et active, sans l'éprouver ni le
sanctionner par quelque devoir traditionnel (1).
Les véritables exercices de vocabulaire doivent
rester, à notre avis, le constant travail de recherche, de construction et de
rédaction qui doit être une des activités vitales de notre classe.
* *
Ne croyez pas que ce soient là conseils donnés à
la légère, après des constatations discutables. Nous montrerons, tout en
continuant notre cours, comment des grammairiens, Ferdinand Brunot, A.
Fontaine, Ch. Bally, etc. partis de la science linguistique, aboutissent à peu
près aux mêmes recommandations si ce n'est que, ignorant encore la technique
d'imprimerie à l'école, ils ont cherché en vain une méthode qui, sans se perdre
dans le labyrinthe scolastique, sauvegarde cependant l'avenir et la pureté de
la langue.
Monsieur A. Fontaine, du moins, sentait que nous
apporterions à ce problème une solution nouvelle et il nous y encourageait
personnellement au début de nos recherches en souhaitant que nous établissions
sous peu les quelques règles simples qui, reliées à la pratique de la langue,
constitueraient le véritable enseignement grammatical à l'école primaire.
C’est ce que nous essayons
de faire.
Le nom et le verbe
Deux mots sont particulièrement importants dans la
langue et nous en mènerons tout de suite l'étude de front : le nom sans lequel
il est impossible de se faire comprendre. (Demandez à quelque enfant de
raconter une histoire sans employer le nom) et le verbe qui donne la vie à la
phrase (essayez de parler sans employer le verbe, puis parlez le langage petit
nègre sans déclinaison de ces mêmes verbes et comparez la nuance et la
précision de la pensée ainsi rendue à celles d'une phrase correcte).
Comme nous l’avons dit déjà, nous continuerons
l'étude des verbes pendant toute l'année, en partant des textes composés et des
idées intéressant les enfants. Cela, pour l'instant, sans donner aucune explication
sur les conjugaisons et en s'en tenant aux temps usuels : indicatif présent,
imparfait, passé composé, futur simple, conditionnel présent, impératif (faire
déjà distinguer et préciser dans leur emploi ces deux formes, si fréquentes en
français et qui tiennent souvent d'ailleurs plus de l'adjectif que du verbe le
participe présent et le participe passé.
L'étude du nom arrête très longtemps les enfants
dans les classes ordinaires. Nous passerons, nous, le plus vite possible. Pas
de définition du nom : on donne un nom aux choses, cela suffit. Même s'ils ne
connaissent aucune définition, les enfants vont très vite à distinguer tous les
noms.
Noms communs et noms propres : il suffit de faire,
journellement au début, cette distinction lorsque l’occasion se présente dans
les textes. Ne compliquons pas par des définitions qui ne seraient que des
mots.
Le pluriel des noms ! C'est ordinairement là
l'objet de " devoirs " interminables. Disons seulement
- que la marque du pluriel est ordinairement S.
- que les noms en eu, au, eau, prennent X au
pluriel
- que les noms en al, ail, s'écrivent en aux au
pluriel. Jamais E.
(Inutile de dire les exceptions. L'habitude de la
rédaction, le pouvoir globalisant de l’enfant feront le nécessaire).
Je me demande s'il est nécessaire même de faire
apprendre la liste des 7 noms en ou qui s'écrivent avec X au pluriel. J'ai
remarqué que cette distinction brouille au contraire l'esprit des enfants, qui
font plus d’erreurs encore lorsqu'on les a mis en garde contre cet X qui les
hypnotise.
Aucune des autres exceptions.
Au féminin, E est en général la marque du féminin.
Pour chacun de ces divers points, outre que nous
attirons l'attention sur ces règles chaque fois que l'occasion se présente,
nous cherchons en commun, au cours des leçons, les noms se rapportant à chaque
catégorie et nous les écrivons au singulier et au pluriel, sans oublier les
exceptions que nous signalerons au passage.
Les leçons de chasse aux mots concourent aussi
dans une certaine mesure à cet apprentissage. Nous continuerons quelque temps
encore la structure du mot français. Nous ne donnons pas même ici la liste de
ces exercices et encore moins l'ordre dans lequel nous les pratiquons.
Tout instituteur, surtout avec notre technique
connaît sa classe. Il sait sans préparation spéciale, quels sont les mots qui
rebutent les enfants ou qui sont du moins l'occasion d'erreurs plus fréquentes.
On examine donc le texte journalier et, en partant de ces deux réalités, on
amorce la chasse aux mots. Nous avons ainsi recherché les mots contenant sc,
ce, ei, ge, gi, gea, geo, en, tien, ph, mb, mp, ant, ent, ai, ain, ê, et, ille,
etc.
Nous poursuivrons encore quelque temps cette
besogne avant de passer à une autre, plus méthodique, dont nous parlerons dans
notre prochain chapitre : la structure de la formation des mots.
L'adjectif qualificatif
L'adjectif qualificatif est tellement lié au nom,
il est d'un emploi tellement courant, que son étude vient naturellement après
celle du nom, ou même est faite si possible simultanément.
Ici aussi, aucune définition, aucune règle :
l'examen des textes et la recherche collective suffiront à faire reconnaître
définitivement les adjectifs qualificatifs, l'étude des autres adjectifs étant
bien moins urgente.
Plus de règles scolastiques : La grammaire vivante
On nous dira peut-être, vous condensez, vous
abrégez, mais vous passez cependant en revue, nous semble-t-il, les éléments
des manuels ordinaires ?
Oui, et nous savons aussi que des concentrés de
grammaire avaient déjà été publiés. Mais ils étaient des concentrés. Nous
donnons une technique nouvelle d'apprentissage de la langue.
Nous n’avons pas dit que nous allons réduire
considérablement le travail que nécessite cet apprentissage, nous ne disons pas
apprenez ces formules, retenez ces exceptions et vous connaîtrez l’essentiel de
la grammaire.
Nous avons la prétention de réduire
considérablement toute la grammaire formelle, de ramener peut-être à rien
l'objet des leçons spéciales de grammaire parce que nous avons à notre
disposition une technique de rédaction, d'expression et de recherche qu'il nous
suffit d’exploiter pédagogiquement pour lui faire rendre, sans dogmatisme, ce
qu’on a demandé en vain aux manuels de grammaire.
" Il y a des règles - dit A. Fontaine, - qui
répondent aux rapports essentiels des idées ; celles-là, il faut les
connaître et les respecter. Il y en a d’autres qui ne sont guère que des modes
passagères et un peu vaines, celles-là, il ne faut pas leur donner plus
d'importance qu'il ne convient. Les premières seules devraient être considérées
comme faisant partie du domaine propre de la grammaire ; les secondes devraient
s'apprendre par la pratique de la même façon qu'on apprend l'orthographe du son
in dans les mots comme éteindre ou craindre, à force d'écrire et de lire
".
Nous verrons ultérieurement comment les
grammairiens qui se sont penchés sur ce problème capital de l'apprentissage de
la langue, ont appelé et souhaité une technique que nous avons mise debout et
dont nous renforçons chaque jour le rayonnement.
" Il faut prendre la grammaire pour ce
qu’elle est - dit A. Fontaine, - l'adapter à une connaissance simple, précise,
intelligente des faits du langage, l'isoler de la lecture expliquée proprement
dite, et en faire pour les élèves, selon leur âge, un objet de discussion sans
pédantisme ".
Tel est véritablement notre but ici : non pas
comprimer ou supprimer, comme on pourrait le croire, l’apprentissage de la
grammaire, mais dégager celui-ci des mots et des rites inutiles pour le
vivifier et le rendre au maximum éducatif et profitable.
" Le meilleur grammairien n'est pas celui qui
sait beaucoup de règles, mais celui qui démêle le mieux cet écheveau compliqué
de l'emploi des formes, celui qui comprend et explique le mieux les rapports de
ces formes, avec la marche, non avec l'objet de la pensée ".
Article - Pronom - Conjugaisons
Nous avons, d'une façon suffisamment approfondie,
étudié le nom et ses diverses formes.
Nous avons dit que, grâce à notre technique de
travail, il nous suffisait d'attirer l'attention de nos élèves sur l'adjectif
qualificatif et ses règles d'accord, sans même donner de définition. Ce sont
des choses que les enfants sentent et comprennent instinctivement lorsqu'ils
ont à leur service la pratique journalière de la rédaction et surtout de la
construction définitive et parfaite d'un texte destiné à la composition et à
l'impression.
Nous ne nous arrêterons pas même l’instant d'une
leçon sur l'article, c'est un mot tellement courant et auquel les explications
ajoutent si peu, qu'il est vraiment inutile de s'attarder à une étude
systématique. Les enfants n'apprennent-ils pas naturellement l'emploi de la,
le, les, du, des, etc., etc.
Insistons plus particulièrement sur la
reconnaissance de le, la, me, se, où, de, te, pronoms dans tous les cas
difficiles ou douteux. Mais cela, nous le répétons, sans imposer aucun de ces
exercices qui, d'avance, paralysent la pensée enfantine, qui sont peut-être
pour l’éducateur des sortes de tests bien superficiels d'ailleurs mais qui ne
sauraient apporter dans l'effort éducatif et constructif des enfants que
trouble et désharmonie.
C'est à même le travail vivant que nous voulons
faire sentir aux enfants la vie et la construction de la langue. Il sera facile
de montrer ensuite la règle d'accord des pronoms, quand nous aurons bien donné
l'intuition - plus parfois que la connaissance véritable - du rôle et. de la
forme de ces pronoms.
Nous continuons en même temps nos nombreux
exercices sur les verbes : verbes comme mener, qui changent parfois leur e en
é, verbes comme changer, verbes irréguliers courants : partir, rendre, sortir,
etc., tous verbes usuels dont la connaissance est absolument nécessaire -
verbes comme appeler qui doublent parfois l, forme plus compliquée du verbe
avec intervention du pronom pour commencer à expliquer les règles d'accord du
participe passé.
Nous ferons en même temps apparaître, lorsque
l'occasion s'en présentera les temps plus difficiles et pourtant usuels,
notamment le conditionnel présent, l'impératif, sans oublier la forme
interrogative et le subjonctif présent. Préciser également la notion du
participe présent et du participe passé.
Les camarades habitués aux leçons méthodiques et
claires - pour eux - des manuels scolaires penseront peut-être que nous
poursuivons ici, en nous attaquant partout à la fois, une étude dispersée,
superficielle, antiscientifique.
Nous avons été très heureux de nous trouver sur ce
point aussi en parfaite communion d'idées avec Monsieur Atzenviller, directeur
de l’Enseignement Primaire à Genève, qui se passionne tout spécialement, et avec
une autre compétence théorique que la nôtre, bien sûr, au problème de
l'enseignement grammatical.
" La vie présente tout à la fois noms,
adjectifs, pronoms, verbes, etc., il nous est impossible d'interdire aux
pronoms de faire leur apparition avant que nous ayons, au cours de x leçons,
réglé leur affaire aux noms et aux adjectifs. Et les manuels - qui ont tenté de
véritables tours de force pédagogiques, n'ont abouti qu'à la publication de ces
phrases fades et vides, de ces exercices émasculés qui déforment l'esprit des
enfants. "
Le nouvel enseignement de la Grammaire devrait
être, en effet, quelque chose de concentrique, précisant d'abord les règles et
les formes dont la connaissance est la plus utile, approfondissant chaque
semaine davantage cette connaissance initiale pour arriver vers 12, 13 ans à
une étude peut-être plus méthodique et plus logique et cela sans aucun
dogmatisme, la vie et l'activité devant être les motifs uniques de la recherche
grammaticale.
Chasse aux mots
Le travail que nous avons fait jusqu’à ce jour en
chasse aux mots, a été une sorte de papillotement vers les formes les plus
difficiles aux yeux des enfants, faisant déjà, découvrir de nombreuses
analogies préparant une étude plus méthodique que nous allons amorcer.
Les camarades qui, grâce à l’effort de notre
groupe ont commencé dans leur classe l'étude de l'espéranto, pourront puiser
dans la grammaire de cette langue scientifiquement construite, des directives
précieuses pour l’enseignement rationnel du vocabulaire : la formation des
mots est, en effet, dans la grammaire espéranto, essentiellement logique, cette
logique se rapproche étrangement la logique enfantine qui préside à la
formation des mots nouveaux.
Nous rappelons donc, qu'il existe en français,
comme en espéranto, un fonds important de mots simples, avec lesquels, à l'aide
de préfixes, on forme des mots nouveaux. En partant de cette base et par
l'étude systématique des affixes, nous allons partir à la recherche de ces mots
nouveaux en commençant toujours par les affixes les plus fréquemment
employés : et, ette, on, oir, pré, di.
Les enfants ne manquent pas d'imagination dans la
construction de ces mots nouveaux. A nous de rester les guides bienveillants et
pour ainsi dire les gardiens de la vérité grammaticale.
* *
Si nos élèves ont longuement pratiqué la rédaction
libre, si la mise au point des textes a été l'occasion d'observations
précieuses, sur la valeur, l'emploi et la fonction des mots ; si au lieu de
tenir la grammaire au-dessus des élèves comme une science majestueuse et
fermée, nous l'avons ainsi mise vraiment à la portée des enfants, si nous
l'avons fait jaillir de leur vie, les trois quarts de notre besogne sont
maintenant accomplis. Nos élèves sont capables de reconnaître dans un texte, et
de faire accorder, les noms, les articles, les adjectifs, les pronoms, les
verbes, et de les distinguer non pas par un simple souvenir scolaire de pure
mémoire, mais parce qu'ils ont intimement saisi les règles du jeu - la vie du
mot et de la phrase. La preuve en est qu’ils s'arrêtent parfois, s'ils ne
disent pas juste, sur des formes voisines qui se préciseront encore à l'avenir.
Temps du verbe - Conjonctions -
Adverbes
Il est temps de nous arrêter plus spécialement aux
verbes.
On aura déjà, quoique nous ayons omis de le signaler,
montré pratiquement le rôle du verbe dans la phrase avec son sujet et ses
compléments. Cette connaissance peut d’ailleurs rester assez longtemps à l'état
d'intuition sans nuire à l'évolution de notre enseignement grammatical.
Nous avons, pendant trois mois, conjugué oralement
ou par écrit de nombreuses formes des verbes les plus usuels sans distinguer ni
conjugaison ni régularité. Les enfants eux-mêmes ont été amenés à faire des
comparaisons utiles qui leur font sentir les avantages de la classification.
Nous allons leur donner maintenant le schéma de
cette classification que nous reprendrons point par point pour l'exemple, le
modèle nécessaire. Les verbes auxiliaires d'abord. Il faut expliquer ce que
c'est qu'un auxiliaire.... un facteur auxiliaire va travailler lorsqu'on a
besoin de lui. Les verbes auxiliaires viennent aider à conjuguer les verbes
lorsqu'on a besoin d'un second verbe. Les enfants disent eux-mêmes à quel temps
on a ainsi besoin d'un auxiliaire.
On peut s'arrêter l'espace d'une ou deux leçons à
la conjugaison modèle de ces auxiliaires, comme nous nous arrêtons à la
conjugaison de chaque verbe type. C'est du travail facile, mais qui n'est pas,
à notre avis, inutile. On peut faire recopier - ou par exemple, tirer à la
polycopie - les verbes auxiliaires être et avoir, puis les verbes chanter,
finir, recevoir, à tous les temps usuels.
Quels sont ces temps ? L'indicatif présent,
l'imparfait, le passé simple - en faisant remarquer que, pour la plupart des
verbes, seules les troisièmes personnes de ce temps sont couramment employées -
le passé composé, le plus-que-parfait - très fréquemment employé malgré son nom
barbare ; (nous pourrions plus utilement le nommer, pour le fixer dans l'esprit
des élèves, un passé ancien, le passé composé était un passé récent) - (les
autres formes du subjonctif disparaissant peu à peu de la conversation
courante, nous nous arrêterons plus tard seulement aux quelques formes qu'on
trouve encore dans les textes d'auteurs et qui sont les pièges classiques des
dictées du C.E.P.E.) - les participes - avec lesquels nous aurons déjà
familiarisé pratiquement nos élèves.
Présentons enfin aux élèves trois sortes de mots
qu'on rencontre aussi fréquemment et auxquels nous avons déjà eu certainement
l’occasion de nous intéresser.
La conjonction (expliquer pratiquement sur les
textes le sens de ce mot) qui sert à joindre, à réunir, à lier des mots ou des
membres de phrases, (à distinguer de ou,. ni, mais, or, donc, que (distinguer
du pronom relatif) si, comme, lorsque, quoique, puisque, et locutions
conjonctives à citer pour mémoire sans insister beaucoup, cette distinction
étant déjà une chinoiserie grammaticale à notre avis inutile.
L'adverbe, dont il est inutile et peut-être
dangereux de donner la définition classique. Il y a peu de mots dans notre
langue plus facilement distingués à l'usage. Un exercice spécial commun serait
peut-être nécessaire pour classer ces adverbes, en adverbe de temps, de lieu,
de quantité, de manière et locutions adverbiales.
L'examen de ces adverbes suffira à faire entrer
dans l'esprit de l'enfant le sens du rôle joué par ces mots dans la phrase, et
cela vaudra mieux qu'une définition extraordinairement abstraite.
Signaler au passage également les prépositions
dont nous reparlerons.
Lorsque nous disons par exemple : distinguer ou de
où, cela ne veut pas dire que nous allons nous livrer à un long verbiage sur
l'emploi de ces mots, verbiage qui amène le plus souvent une confusion plus
grande encore dans l'esprit de l'enfant. C’est à l'usage dans la fonction active
de ces mots, que doit se faire de façon subconsciente presque la distinction
désirée.
Comme tout au long de ce cours original de
grammaire française nous nous abstenons, à dessein, de tout verbalisme dussent
nos inspecteurs nous en tenir rigueur, cherchant avant tout la formation
grammaticale intime et personnelle, définitive et éducative.
Formation des mots nouveaux
Pour la chasse aux mots, nous continuerons la
recherche amorcée et commencée dans notre précédent numéro, l’étude des
affixes. Nous ne présenterons pas d'ordre strict, puisque nous n'en suivons
pas. Quel avantage y aurait-il d'ailleurs à cela, sinon pour la routinière
préparation de classe. Nous essayerons de montrer que ces affixes ajoutent
ordinairement un sens à peu près permanent aux mots auxquels ils sont accolés.
Cette règle n'est malheureusement pas toujours vraie dans notre français -
langue vieille que l'usage a profondément marqué - comme elle l'est en
Espéranto. Mais enfin nous ne manquerons pas de signaler que re signifie : une seconde
fois ; de marque le contraire ; bi, la 2e fois, etc.
Nous donnons, à, titre indicatif seulement, une
liste d'affixes dont l'étude peut être entreprise alors selon le contenu du
texte : re, dès, bi, mi, sur, à (signaler les consonnes doubles dans certains
cas) en, in, é, oui, onal, ard, etc.
La recherche et la construction de mots nouveaux
faites par les enfants eux-mêmes selon ces directives sont toujours très
vivantes et très profitables.
Les exercices grammaticaux
Les manuels scolaires actuellement en usage dans
les classes accordent, on le sait, une très large place aux exercices de
grammaire qui suivent et complètent nécessairement tout chapitre du livre.
Les instituteurs ne se font pas d'illusion sur la
portée pédagogique de ces exercices qui sont surtout là comme occupation
traditionnelle de classes passives pratiquant exclusivement la technique des
devoirs et des leçons. Ils savent le peu d'intérêt qu'y prennent les enfants et
nous n’avons qu’à, nous remémorer nos années d'écoles pour les trouver à
l'origine de notre aversion pour l’étude systématique de la langue.
L'essentiel de la grammaire, l'esprit grammatical
ne peuvent être acquis que par la pratique vivante de l’écriture et de la
lecture ; et la supériorité de nos techniques est justement de montrer comment
on peut, pratiquement y accéder par des moyens naturels et rationnels, qui ont
aujourd'hui fait leurs preuves.
Il est cependant quelques notions qui, comme pour
les autres disciplines, nécessitent des exercices répétés et méthodiques, surtout
dans nos milieux ruraux où les enfants entendent rarement le langage châtié et
pur qui pourrait leur servir de modèles.
Nous admettons alors que, provisoirement, des
exercices soient proposés pour l'acquisition de la pratique pour ainsi dire
automatique de l'orthographe et de la syntaxe. Nous disons bien :
provisoirement, parce que, dans une classe bien entraînée selon nos techniques,
dans des milieux éducatifs pratiquant un langage correct, ces exercices mêmes
deviennent inutiles.
Nous prévoyons donc à cet effet un fichier autocorrectif de grammaire dont nous
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