Inspection Oued Fodda (Chlef)

Inspection Oued Fodda (Chlef)

Qu’est-ce que « l’intérêt » de l’enfant ?

On dit souvent que la doctrine qui fonde l'éducation sur l'intérêt
substitue le caprice, l'expérience grossière et désordonnée de l'enfant à
l'expérience exercée et mûrie de l'adulte. Ce que nous en avons dit remet les
choses au point. L'enfant possède naturellement des intérêts dus en partie
au degré de développement qu'il a atteint, en partie aux habitudes qu'il a
acquises et au milieu dans lequel il vit. Ces intérêts sont relativement
incultes, instables, transitoires. Pourtant, ils représentent tout ce qui est
important pour l'enfant ; ils sont les seules puissances auxquelles l'éducateur
puisse s'adresser ; ils sont des points de départ, ce qu'il y a chez l'enfant
d'actif, d'initiateur. L'éducateur doit-il donc les prendre comme points
d'arrivée, comme quelque chose de définitif, d'achevé ? Doit-il chercher à les
satisfaire et à les conserver tels qu'ils sont ? Aucunement, et celui qui les
utiliserait de cette manière serait le pire ennemi de la théorie de l'intérêt.
Car la signification de l'intérêt réside toute dans ce à quoi il tend, dans les
nouvelles expériences qu'il rend possibles, dans les pouvoirs nouveaux qu'il
crée. Les impulsions et les habitudes de l'enfant doivent donc être
interprétées. Le véritable pédagogue est précisément celui qui, grâce à sa
science et à son expérience, est capable de voir dans ces intérêts non
seulement des points de départ pour l'éducation, mais des fonctions qui
renferment des possibilités et qui mènent à un but idéal. C'est ici
qu'intervient l'intérêt tel que l'a décrit Herbart : tout d'abord, celui du. petit
enfant qui aime parler de lui et de ses amis, de ses expériences et de ses
hauts faits. A quoi tend cet intérêt ? Quel peut bien être le but qu'il
poursuit ? Puis, vient le besoin de gribouiller, de faire des maisons, des
chiens, des personnages. Que cherche cet intérêt ? Et ainsi de suite.
Répondre de pareilles questions, ce n'est pas seulement connaître la psychologie de l'enfant, c'est aussi et du même coup, reconnaître la haute
valeur de la sagesse adulte, avec ses connaissances historiques, sa science
et les ressources de l'art. Les programmes scolaires, avec tous leurs
raffinements et toute leur ampleur, sont la réponse à cette question : Que
signifient les pouvoirs qui s'éveillent peu à peu chez l'enfant ?
Pour amener à maturité les goûts et les besoins de l'enfant, il faut
sans doute du temps. On n'y arrive que pas à pas. Dans la pratique de
l'éducation, c'est aujourd'hui qui compte, et il faut que le maître voie
immédiatement quel usage il peut faire de l'intérêt présent. Ainsi, l'intérêt
pour le gribouillage doit être utilisé tout de suite, et il faut en tirer tout le
bien possible sans tarder, sans s'occuper surtout du fait que dans dix ans,
l'élève calligraphiera ou tiendra des livres ; il faut employer cet intérêt de
manière à lui ouvrir des voies nouvelles et à le tirer de son état
rudimentaire. On peut dire que le devoir principal de l'éducateur est d'utiliser
cet intérêt et ces habitudes de manière à en faire quelque chose de plus
plein, de plus large, de plus discipliné, de mieux ordonné. Et celui qui sait
toujours utiliser ainsi l'intérêt en restera toujours maître. En réalité, l'intérêt
est une chose mouvante, un processus de croissance, un enrichissement
vital, une acquisition d'énergie. Comment s'y prendre pour augmenter les
connaissances et les capacités actives de l'enfant ? En cela consiste l'art du
pédagogue. Il n'y a pas à aller contre. Mais, la discussion qui précède prouve
qu'on doit distinguer entre l'intérêt direct - ou moyens et fins sont
étroitement unis, ou du moins très rapprochés - et l'intérêt indirect, qui éclôt
à un moment plus avancé de la vie psychique. A ce degré, les enfants
peuvent relier consciemment leurs actes et les interpréter les uns par les
autres.
SAVOIR D'ADULTE ET SAVOIR D'ENFANT
Le savoir humain, tel que le savant l'envisage, n'a aucune relation
directe avec l'expérience actuelle de l'enfant. Il est hors de son horizon.
L'oublier, c'est faire courir à l'éducation un danger qui n'a rien de théorique.
Dans la pratique, tout le monde en pâtit. Le manuel et le maître rivalisent
pour présenter à l'enfant les matériaux scientifiques tels que le savant les
considère. Si l'on modifie ou révise, c'est uniquement pour éliminer certaines
difficultés techniques et pour mettre les sujets à la portée de l'intelligence
enfantine. Mais on ne traduit pas ces matériaux en termes vivants, on les
offre au contraire comme une sorte de substitut, comme une adjonction
toute extérieure à la vie et à l'expérience de l'enfant.
Il en résulte trois conséquences typiques et désastreuses la première,
c'est une absence de connexion organique avec ce que l'enfant a déjà vu,
senti, aimé, qui fait de la connaissance acquise quelque chose de purement formel et de symbolique. En un sens, on ne peut faire trop de cas de ce qui
est formel et symbolique, car la forme, le symbole, servent de méthode dans
la recherche et la possession du vrai. Ce sont des instruments grâce
auxquels l'individu s'avance avec une pleine sûreté vers l'inexploré. Mais ce
résultat n'est obtenu que lorsque le symbole symbolise réellement, c'est-àdire
résume et remplace une expérience que l'individu a déjà vécue. Un
symbole venant du dehors, qui n'a pas jailli d'une activité préalable, est et
reste quelque chose de vide, d'inutile et de mort. Tout fait, qu'il appartienne
à l'arithmétique, à la géographie ou à la grammaire, qui n'a pas été rattaché
à ce qui intéressait réellement et d'une façon profonde la vie de l'enfant,
occupe une position usurpée. Ce n'est pas une réalité, mais simplement le
nom d'une réalité qui pourrait être expérimentée si les conditions voulues
étaient remplies. Or ces conditions ne peuvent pas être remplies quand on
présente brusquement à un enfant les connaissances d'autrui et qu'on lui
demande un effort pour qu'il les possède à son tour. Ce qu'on veut lui
enseigner demeure un hiéroglyphe ; il signifierait quelque chose si l'enfant en
avait seulement la clé. Mais comme elle manque, le fait n'est qu'une curiosité
qui encombre l'esprit, une sorte de poids mort.
La seconde conséquence fâcheuse de la pédagogie que nous
examinons, c'est l'absence de motifs. Non seulement il n'existe dans l'esprit
de l'enfant aucun fait, aucune vérité de nature à assimiler, à s'approprier les
faits nouveaux, mais il ne s'y trouve aucun besoin, aucun appétit, aucune
demande de ces faits. Au contraire, quand on tient compte de la psychologie
et qu'on sait voir les tendances et les activités évoluant chez l'enfant, alors
on découvre facilement chez lui l'obstacle d'ordre intellectuel, pratique ou
moral qui devrait être enlevé ou vaincu, pour que l'enfant se rende maître du
fait qu'on veut enseigner. Ce besoin fournirait précisément un motif de
s'instruire. En effet, si l'enfant a un but personnel, il est naturellement poussé
à rechercher les moyens de l'atteindre. Quand les connaissances à acquérir
sont présentées sous la forme d'une leçon qu'il faut apprendre comme une
leçon, il y a absence totale de connexion entre les besoins et le but. Il
résulte de ce manque initial de motifs une instruction mécanique et sans vie.
Là où il y a vie et développement organique il y a toujours action et
réaction; il y a offre et demande; demande de la part de l'esprit et offre de
la part du programme d'études.
La troisième conséquence déplorable à signaler, c'est que les sujets les
plus scientifiquement et les plus logiquement ordonnés perdent précisément
leurs qualités quand on les présente à l'enfant d'une manière extérieure et
stéréotypée. Il faut nécessairement, en effet, que le maître leur fasse subir
des transformations pour les rendre accessibles au cerveau de l'enfant.
Qu'arrive-t-il ? Ce qui est justement d'une valeur très grande pour le savant
ou le logicien est abandonné. Ce qui aurait dû provoquer l'activité de l'esprit et l'organiser disparaît ou est voilé. On ne développe pas adéquatement le
pouvoir du raisonnement, la faculté d'abstraction et de généralisation. Le
sujet est vidé de sa valeur logique, la seule qu'il eût fallu juger importante,
et il devient une pure affaire de mémoire. Voici donc la contradiction du
système : l'enfant n'acquiert ni les avantages qu'était censée fournir la
logique de l'adulte, ni ceux que lui auraient procurés ses besoins innés, ses
tendances instinctives. La logique de l'enfant est faussée et atrophiée, et
nous pouvons nous estimer heureux s'il n'a pas acquis tout l'opposé de la
science, une sorte de résidu banal et flasque de ce qui fut jadis savoir
vivant, une réminiscence dégénérée de ce qui fut autrefois une expérience
réelle des choses.
Mais ce n'est pas encore tout. Les exigences de la psychologie ne
peuvent jamais être méconnues impunément. Chassez-les par la porte, elles
rentreront par la fenêtre. Toujours et partout il faut faire appel à des motifs,
établir des connexions entre l'esprit et ce dont on veut l'enrichir. Il ne peut
être question de se passer de ces motifs et de ces connexions ; la grosse
question, par conséquent, c'est de savoir si celles-ci sortent organiquement
du sujet quand il est mis en relation avec l'esprit ou bien si, au contraire,
elles sont importées mécaniquement du dehors.
Si le sujet d'une leçon occupe réellement une place appropriée, de
manière à favoriser l'expansion de la conscience de l'enfant, s'il se rattache
intérieurement à quelques-uns de ses actes, à ses pensées, à ses
souffrances et qu'il facilite son développement futur et augmente sa
réceptivité, alors il n'y a pas besoin de se préoccuper de rechercher des
biais ou des trucs de méthode pour rendre ce sujet intéressant. Au contraire,
tout sujet venant du dehors et n'ayant pas de connexion réelle avec la vie,
tout sujet que l'enfant s'approprie pour des motifs qui lui sont étrangers, est
privé de cette valeur dont nous venons de parler. C'est pourquoi on se voit
forcé de recourir à des exercices factices, à des artifices parfois puérils pour.
forcer l'attention enfantine.
Il vaut la peine de considérer ce qui se passe quand on croit pouvoir
donner à un sujet une signification psychologique par des moyens extérieurs.
Il est vrai que l'accoutumance produit la satiété, mais elle produit aussi une
sorte d'attachement. Nous pouvons nous habituer à une chaîne et regretter
qu'on nous l'enlève. C'est un fait que, par l'habitude, nous en venons à
embrasser ce qui nous paraissait hideux au premier aspect. Des activités
désagréables, parce qu'elles n'avaient pas de signification pour nous,
deviennent avec le temps plus ou moins agréables. Notre esprit peut de
même s'intéresser à la routine et au travail mécanique s'il se trouve dans
des conditions qui demandent une pareille activité à l'exclusion de toute
autre. On entend fréquemment des gens défendre des exercices ennuyeux et absolument vides en affirmant que les enfants y prennent beaucoup d'intérêt.
C'est ce qu'il y a précisément de triste; car leur esprit, qu'on a sevré d'une
activité normale et qui manque de goût pour des exercices adéquats à sa
vraie nature, se dégrade au point de s'intéresser à des choses étroites et
mesquines. La loi véritable de l'esprit, c'est de trouver satisfaction dans son
propre exercice et si on ne lui fournit pas un travail suffisant et plein de
signification pour lui, il essaye, de se satisfaire comme il le peut, et trop
souvent il réussit à s'attacher à des choses toutes formelles, excepté dans le
cas où décidément cela lui est impossible et où l'élève devient un indiscipliné
et un rebelle. Chez beaucoup d'élèves, l'intérêt pour ce qui est pur symbole
et pour la mémorisation mécanique remplace l'intérêt vital et original.
L’école et l’enfant
Editions Delachaux et Niestlé

John Dewey,  1897


03/10/2009
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 199 autres membres