Inspection Oued Fodda (Chlef)

Inspection Oued Fodda (Chlef)

“Tous les hommes ont une intelligence égale”… et peuvent s’instruire par le livre.


Si j'ai commencé par donner à entendre que je suppose une intelligence égale dans tous les
hommes, mon projet n'est pas de soutenir cette thèse contre qui que ce soit. C'est mon opinion, il
est vrai ; cette opinion m'a dirigé dans la succession des exercices qui composent l'ensemble de la
méthode et voilà pourquoi je crois utile de poser en principe : tous les hommes ont une intelligence
égale. Ce n'est pas là la maxime de tous nos savants, mais c'est celle de Descartes et de Newton ;
ce qui, pourtant, ne prouve rien. Cependant, dira un critique : si votre méthode est basée sur ce
fondement fragile, la base croulant, l'échafaudage, c'est-à-dire la méthode, doit s'écrouler aussi. Je
pourrais répondre au critique : si ma méthode conduit à un résultat satisfaisant, la vérité de ce fait
ne dépend pas plus de mon opinion que de la vôtre. Quand je ne démontrerais pas clairement que
la route doit conduire au but, il ne s'ensuivrait pas que je ne l'ai pas atteint. (…)
Si ce livre tombe, par hasard, entre les mains d'un savant étranger, qui veuille diriger une
éducation d'après ma méthode, je me contenterai de lui dire : faites apprendre un livre à votre
élève, lisez-le vous-même et souvent, et vérifiez si l'élève comprend tout ce qu'il sait.
Assurez-vous qu'il ne peut plus l'oublier ; montrez-lui enfin à rapporter à ce livre tout ce qu'il
apprendra par la suite et vous ferez de l'enseignement universel. Si ce peu de mots ne suffisent pas
au savant, je crains qu'il ne me comprenne pas davantage en continuant sa lecture, car je ne dirai
pas autre chose que ce que je viens de dire. Sachez un livre, rapportez-y tous les autres : voilà ma
méthode. Du reste, variez les exercices dont je parlerai, changez leur ordre, peu importe. Si vous
apprenez un livre et si vous y rattachez tous les autres, vous suivrez la méthode de l'enseignement
universel. Ce n'est pas seulement pour commencer par les rudiments que nous nous égarons, c'est
parce que nous ne savons même pas les rudiments en sortant du collège. On n'est pas savant par
ce qu'on a appris, on n'est savant que lorsqu'on a retenu...
Personne ne doute que celui-là serait très savant qui connaîtrait un livre et qui saurait tous
les commentaires auxquels il a donné lieu. Il est vrai que cette supposition est absurde dans la
vieille méthode, ce résultat ne peut être obtenu qu'à force de veilles et d'années; il est le fruit des
efforts continuels, d'une mémoire qui succombe sans cesse sous le faix d'un nombre prodigieux de
réflexions nouvelles, éparses, sans ordre et par conséquent sans liaison.
Mais ce qui paraît impossible devient un jeu quand on commence par savoir un livre. Il est
aisé de s'apercevoir que tous les autres livres ne sont autre chose que le commentaire et le développement des idées contenues dans le premier. C'est cette remarque, c'est cet exercice que
nous appelons « tout est dans tout », qui rend facile l'acquisition d'un nombre illimité de
connaissances nouvelles. N'apprenez donc jamais rien sans le rapporter au premier objet de vos
études. Cet exercice doit durer toute votre vie. (…)
***
Si l'homme a la faculté de raisonner sur des faits, en le supposant seuls sur la terre, quel
fait plus digne de son attention que son semblable qui réfléchit, et qui lui communique ses réflexions
sur les faits dont ils sont témoins en même temps ! Les pensées de l'un deviennent un nouveau
sujet de pensées pour l'autre ; et quand la leçon du maître n'aurait que cet avantage, rien ne peut
la remplacer, même pour les hommes de génie s'il y en a... Mais écouter n'est profitable que
lorsqu'on s'entend. La leçon orale est bien fugitive, le livre reste là, je puis l'ouvrir quand il me plaît ;
tandis que les paroles s'envolent, on ne peut plus les retrouver. J'ai souvent dit à mes auditeurs :
tant que vous ne ferez que m'écouter, vous n'apprendrez rien, vous ne retiendrez rien, vous ne me
comprendrez même pas...
Ayez un livre commun entre vos élèves et vous ; sachez-le tous ; parlez alors tant qu'il vous
plaira : ils comprendront tout ce que vous direz ; ils le retiendront sans peine, et ils iront sept, huit
fois plus vite que les autres. Si nous avions retenu tout ce que nous ont dit les dix ou douze
discoureurs successifs que nous avons entendu parler quand nous étions petits, nous serions plus
savants que qui que ce soit sur la terre. Mais autant en emporte le vent, parce qu'il n'y a rien de
commun entre nous ; le professeur voltige de branche en branche ; ses réflexions ne se rattachent à
rien de fixe dans ma tête. J'oublie ce verbiage et lui aussi. Le plus savant des savants serait un
professeur qui aurait retenu tout ce qu'il a dit, ou un auteur qui saurait tout ce qu'il a écrit. Le
moyen de rendre les collèges utiles serait donc d'y introduire l'enseignement universel...
Joseph Jacotot
(1770 – 1840)
Enseignement universel – langue maternelle,
Edition de Paw, Louvain, 1823


03/10/2009
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 199 autres membres